Cour de Cassation 25 novembre 2020 / Co-emploi, Immixtion dans la gestion économique et sociale, Situation exceptionnelle /
" (...) Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 19 janvier 2018), le groupe David, composé de la société David miroiterie et de la société David services, a été repris le 22 septembre 2010 par le groupe verrier japonais AGC (Asahi Glass Compagny Limited). La société AGC France exerçait la présidence de la nouvelle société AGC David miroiterie venue aux droits de la société David miroiterie et ayant absorbé la société David services. Les actions de la société AGC David miroiterie étaient détenues par une autre société du groupe, également présidée par la société AGC France.
2. Les salariés non protégés ont été licenciés pour motif économique le 16 mai 2012, en raison de la cessation d'activité de la société AGC David miroiterie. Celle-ci a été placée le 9 janvier 2013 en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 9 avril 2013, Mme UN... étant désignée en qualité de liquidatrice.
3. Contestant leur licenciement, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de dommages-intérêts à l'encontre de la société AGC David miroiterie et de la société AGC France, invoquant la qualité de coemployeur de celle-ci. (...)
Vu l'article L. 1221-1 du code du travail :
5. La Cour juge de façon constante que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur, à l'égard du personnel employé par une autre, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière (Soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.209 et s., Bull. 2014, V, n° 159, Molex ; Soc., 6 juillet 2016, n° 14-27.266 et s., Bull. 2016, V, n° 146, Continental ; Soc., 6 juillet 2016, n° 14-26.541, Bull. 2016, V, n° 145, Proma ; Soc., 6 juillet 2016, n° 15-15.481 à 15-15.545, Bull. 2016, V, n° 147, 3 Suisses).
6. Le premier de ces arrêts a ainsi été commenté par la chambre sociale (Site de la Cour, mensuel du droit du travail n° 56, juillet 2014, p. 4) : "L'arrêt confirme l'importance prise par ce critère d'immixtion dans la gestion économique et sociale de sa filiale par la société mère. Seule est susceptible d'être reprochée à une société mère son immixtion globale et permanente dans le fonctionnement de sa filiale, qui doit prendre à la fois une dimension économique et une dimension sociale. (...) Il n'y a immixtion sociale qu'à condition que la direction du personnel et la gestion des ressources humaines soient prises en main par la société mère qui ne permet plus à la filiale de se comporter comme le véritable employeur à l'égard de ses salariés. La situation de coemploi devrait donc rester exceptionnelle."
7. Il apparaît nécessaire eu égard à l'évolution du contentieux de préciser les critères applicables en la matière.
8. Il y a lieu de juger, en application de l'article L. 1221-1 du code du travail précité, que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.
9. Pour déclarer la société AGC France coemployeur avec la société AGC David miroiterie, dire qu'elle est tenue, in solidum avec cette dernière société, au paiement et au remboursement de diverses sommes et la condamner au paiement de ces sommes, l'arrêt retient que les sociétés AGC David miroiterie, AGC France, les autres filiales ou sous-filiales oeuvraient toutes dans le domaine du verre et en ce qui concerne les filiales -dont AGC David miroiterie- plus particulièrement dans la transformation du verre.
10. L'arrêt relève également que la société AGC France présidait, par l'intermédiaire d'un directeur, M. KR..., qui la représentait, d'une part, la société AGC David miroiterie, d'autre part, la société Isatis, actionnaire de la société AGC David miroiterie. Il constate que M. KR... avait réalisé des rapports et projets sur la situation de la société AGC David miroiterie, géré des litiges commerciaux, signé des contrats de location, de maintenance, des lettres d'embauche, d'avertissement, de rupture, ainsi qu'un accord salarial en février 2011 et accordé des congés payés, sans que soit démontrée l'existence de consignes particulières données par la société AGC David miroiterie à ces diverses occasions.
11. L'arrêt constate encore que si les éléments produits ne permettent pas d'établir que les achats de fournitures et de machines étaient autorisés par la société AGC France ni que celle-ci fixait les prix de vente, il était imposé en revanche à la société AGC David miroiterie de traiter diverses commandes, rarement rentables, pour d'autres sociétés du groupe, qu'elle était parfois amenée à prêter ses machines à d'autres sociétés françaises du groupe et bénéficiait également de prêts.
12. L'arrêt retient enfin qu'il existait, entre les sociétés AGC France et AGC David miroiterie, une confusion de direction, d'intérêt et d'activités qui s'est traduite par une immixtion anormale de la société AGC France dans la gestion sociale de la société AGC David miroiterie, la seconde ayant délégué à la première, à compter de février 2012, la gestion de ses ressources humaines et la société AGC France lui ayant facturé son intervention. Il ajoute que cette confusion s'est également traduite par une immixtion anormale dans la gestion économique puisque, dès septembre 2010, la gestion administrative de la société AGC David miroiterie a été assurée par une autre filiale du groupe, moyennant redevance, et que la trésorerie a été gérée par la société AGC France. L'arrêt observe que, en outre, entre la fermeture du site en avril 2012 et la liquidation judiciaire en janvier 2013, la société AGC France a repris les actifs de la société AGC David miroiterie à son profit ou au profit d'autres filiales dans des conditions désavantageuses pour la société AGC David miroiterie.
13. En se déterminant ainsi, sans caractériser une immixtion permanente de la société AGC France dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, la Cour : (...) "
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 18-13.769
gras et soulignage par D.COURTIEU