Cour de Cassation 4 novembre 2020 / Clause de non-concurrence, Prise en compte de l'intérêt de l'entreprise /
" (...) Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 21 décembre 2018), M. H... a été engagé le 8 septembre 2008 par la société [...] dont le dirigeant était M. T... et, après son licenciement pour motif économique le 30 septembre 2009, est entré à compter du 1er novembre 2010 au service de la société établissements [...] , en qualité de cadre commercial. Aux termes de son contrat de travail, le salarié était soumis à une clause de non concurrence. La société Almetal France, filiale du groupe Galloo Recycling, a pris une participation dans la société établissements S... T..., représentant 50 % du capital de cette dernière et a, selon le même procédé, repris 50 % du capital de la société [...] . Le 26 novembre 2010, M. T... et le président de Galloo Recycling, ont créé, à parts égales, la société [...] , détenue à 50 % par M. T..., à titre personnel et à 50 % par la société Almetal, dont M. T... est devenu directeur général, cumulant cette fonction avec celle de président de la société établissements S... T.... Le 30 avril 2011, M. T... a quitté le groupe en cédant l'intégralité de ses parts à la société Almetal. Les sociétés [...] et [...] , désormais détenues entièrement par le groupe Galloo Recycling, sont respectivement devenues les sociétés Galloo Littoral et Almetal - Ile de France. M. H... qui a sollicité l'organisation d'élections pour la désignation de délégués du personnel au sein de la société Galloo Littoral (la société), celle-ci comportant moins de cinquante salariés, a été élu délégué du personnel titulaire le 24 juin 2011 et désigné, le 22 juillet 2011, en qualité de délégué syndical pour le collège cadres-agents de maîtrise. Le 25 octobre 2011, il a été désigné en qualité de délégué syndical au sein de l'unité économique et sociale constituée des différentes sociétés de l'ancien groupe [...]. Cette désignation a été contestée par les sociétés du groupe Galloo Littoral devant le tribunal d'instance, lequel, par jugement du 16 août 2012, a fait droit à leur demande. Le 28 octobre 2013, le salarié a démissionné de ses mandats de délégué du personnel et délégué syndical, à effet au 1er janvier 2014. Le 15 juillet 2014, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 24 juillet 2014. Après autorisation administrative de licenciement accordée le 29 septembre 2014, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour motif économique le 6 octobre 2014. Par décision du 3 avril 2015, le ministre du travail a annulé l'autorisation de licenciement, considérant que l'inspection du travail n'était pas compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, dans la mesure où le mandat de délégué syndical détenu par le salarié avait nécessairement pris fin au terme de son mandat de délégué du personnel et que la protection s'y rattachant avait expiré à l'issue du délai de six mois suivant la cessation des mandats, soit avant que ne soit engagée la procédure de licenciement. Cette décision n'a donné lieu à aucun recours. (...)
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a relevé que la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail prévoyait une indemnisation particulièrement importante au profit du salarié qui n'était justifiée ni par l'étendue géographique de l'obligation de non concurrence, se limitant à deux départements, ni par la durée de celle-ci, ni par la nature des fonctions exercées, que le contrat du salarié avait été établi à une époque où la société rencontrait d'importantes difficultés financières, attestées par les éléments financiers et comptables joints au dossier, que cette situation avait conduit son représentant légal à se rapprocher du groupe Galloo Recycling afin de trouver des financements, que l'embauche du salarié précédait de quelques jours seulement la conclusion du pacte d'associés entre M. T... et les sociétés Almetal et Galloo NV, prévoyant une prise de participation de ces dernières dans le capital des sociétés détenues par l'actionnaire historique, ce qui venait démontrer de façon irréfutable que M. T... avait alors parfaitement conscience de la situation financière critique de son entreprise, qu'en outre, ce dernier avait établi le contrat de travail comportant la clause de non-concurrence litigieuse cinq mois avant de quitter le groupe et quatre mois avant de céder l'intégralité de ses parts à la société Almetal et que, durant cette courte période, il avait également modifié par avenants quatre autres contrats de travail de proches collaborateurs afin d'y insérer la même clause de non-concurrence et que, dans le contexte économique décrit, de telles clauses, octroyant à chacun des salariés une compensation d'un montant disproportionné au regard des sujétions imposées et faisant, dans le même temps obligation à l'employeur de procéder à son paiement en un seul versement, sans faculté pour celui-ci de lever ladite clause, constituaient des avantages exorbitants tandis que la pénalité de 10 000 euros prévue en cas de violation de l'obligation par le salarié était dérisoire au regard de la somme versée. Elle a ainsi, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. (...) "
En l'espèce, la balance a penché dans le sens de l'intérêt de l'entreprise, c'est peu courant. Cela rappelle utilement que la clause est une disposition contractuelle et comme telle à lire sous l'égide de l'article 1104 du Code Civil.
"Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public" Article 1104 Code civil.
Bien entendu, la Cour de Cassation se garde bien de parler de cause... mais d "avantages exorbitants".
D.Courtieu
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 4 novembre 2020, 19-12.279